Par Kevin Raub
La viticulture dans les environs de la ville de Vidigueira, dans l’Alentejo, est florissante. Au Ier siècle, les Romains produisaient un cru à São Cucufate (commune de Vidigueira). Aujourd’hui, les vestiges de cette exploitation agricole où étaient produits du vin et de l’huile d’olive comptent parmi les ruines romaines les mieux conservées de la péninsule ibérique.
Dominant une colline spectaculaire, se trouve Quinta do Quetzal, un domaine viticole, propriété d’une famille d’origine hollandaise. Délaissant la méthode traditionnelle de vinification dans des amphores d’argile encore employée par de nombreux viticulteurs de la région, les propriétaires recourent à une méthode plus simple, mais encore plus ancienne : la gravité! Le résultat? Une gamme de rouges et de blancs assemblés avec des cépages emblématiques comme l’Antāo Vaz, le Trincadeira et l’Alicante Bouschat (délaissé par les Français, ce cépage s’est bien adapté au terroir de Vidigueira).
J’ai fait la connaissance de Pedro Bonito au Quinta do Quetzal, un hôte amical qui verse en abondance les divers vins rouges produits au domaine. Étonnant, quand on sait que l’Antão Vaz est le cépage blanc principal dans la région de l’Alentejo! Qu’il s’agisse des vins de table de la gamme Guadelupe ou du Quetzal Fàmilia, une édition spéciale et limitée (production de 600 magnums uniquement), tous ces vins se distinguent par leur excellence. Bonito me surprend d’autant plus qu’il évoque des accords mets-vins originaux qui mettent en valeur chacune des bouteilles du cellier. Du jamais vu.
João Mourato, chef du renommé restaurant le Queztal, avec vue imprenable des vignobles depuis la salle à manger, et spécialiste de la gastronomie de l’Alentejo, propose une cuisine traditionnelle réinventée. L’exquise Farinheira à Brás (saucisse fumée avec des œufs et des pommes de terre) est la plus remarquable des entrées. Comme plat de subsistance, le chef propose les médaillons de porco preto (porc ibérique à robe noire) servis avec des migas (un mets savoureux à base de chapelure de pain aromatisé à l’ail, à l’huile d’olive, et garni de légumes), des oignons marinés et des oranges : une expérience hors du commun.
Pas seulement les mets sont sublimes. Bonito choisit deux vins pour accompagner le porc : un rouge (le Quetzal Família Grande Reserva 2016) et un blanc (Quinta do Quetzal Reserva Branco 2017). Les deux vins s’accordent à merveille avec le porco preto. Encore une fois, les résultats remarquables du domaine Quinta do Quetzal attestent de sa volonté de rompre avec la tradition.
Mon aventure dans l’Alentejo prend fin le lendemain à Elvas, cette remarquable ville fortifiée qui compte un exemple exceptionnel d’architecture militaire : le Forte da Graça, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. Ce fort de défense en forme d’étoile est l’un des exemples les mieux préservés au monde de l’architecture militaire d’inspiration italienne.
Je commence la journée en explorant le ravissant village de Monsaraz, juché au sommet d’une colline. S’il ne compte guère plus de trois rues, il offre à chaque tournant des moments dignes d’être publiés sur Instagram. Sans l’invention des appareils photo numériques, vous n’auriez pas assez de pellicules photo pour saisir les plaines de l’Alentejo, le barrage d’Alqueva (le plus grand lac artificiel d’Europe) et la frontière avec l’Espagne. Les panoramas sont tout simplement magnifiques. J’ai pu visiter Monsaraz, ce condensé d’histoire médiévale, en moins de 45 minutes pour me rendre à la ville voisine de São Lourenço do Barrocal.
São Lourenço do Barrocal est un petit village (aldeia en portugais) officiellement abandonné. Un petit groupe d’ouvriers s’y est établi au XIXe siècle dans ce hameau qui s’est mué en une exquise retraite campagnarde. Fait remarquable, le propriétaire de huitième génération du domaine, José António Uva, qui a donné vie à ce projet visionnaire (de pair avec sa femme et son frère), a adopté une approche non interventionniste, réutilisant, recyclant ou, encore préservant les bâtiments d’origine. Vivant dans la seule construction couverte de la propriété, il a cogité son projet pendant deux ans.
Les chambres dans le bâtiment principal, là où logeaient les travailleurs de jadis, ont été modernisées; l’école est devenue le domaine viticole de la propriété; les grands crochets, qui servaient autrefois à suspendre des hamacs, sont toujours fixés aux plafonds; l’on a récupéré des volets et des portes en bois pour les convertir en tables volantes.
L’hôtel est décoré avec des objets oubliés qui se trouvaient dans la propriété, leur redonnant vie. Tout est soigné dans les moindres détails. Les chambres, raffinées, spacieuses, font la part belle au magnifique bois de pin. La firme Anahory Almeida a conçu sur mesure des bureaux, des têtes de lit, des tables d’appoint et des armoires qui suscitent mon envie. Les chambres orientées vers l’est offrent une vue de sur Monsaraz digne d’une carte postale. Ce domaine de 780 hectares évoque en soi tout ce qu’il y a de merveilleux dans l’Alentejo et au Portugal.
De retour à Elvas, je m’enregistre au Travassos 11, cet hôtel qui marque la dernière étape d’un voyage de près de 900 km (560 miles). Loin des vastes étendues de chênes-lièges avec ses horizons infinis, me voilà entouré de ruelles étroites et de rues pavées entourées de remparts en forme d’étoile. Le joli carrelage d’origine et le mobilier d’époque de cet ancien palais résidentiel transformé en petit hôtel confèrent au Travassos 11 un air de musée; la piscine extérieure, le jardin et l’ancienne chapelle (convertie en bar!) invitent à la détente. J’étais loin de me douter que ce serait la gouvernante du Travassos 11 qui me laisserait le meilleur souvenir de mon escapade dans l’Alentejo.
Pour qui ne le sait pas déjà, l’Alentejo est réputée pour sa gastronomie, sa cuisine copieuse et l’omniprésence de la viande de porc, notamment le fameux porco preto, apprêté de mille et une façons. Cândida, qui n’est nullement une chef de formation, prépare occasionnellement des repas pour la clientèle de Travassos 11 lorsqu’elle ne s’occupe pas du ménage. Elle a préparé une merveilleuse soupe à la coriandre qui a été suivie des bochechas de porco preto, des joues de porc noir ibérique braisées au vin rouge et servies avec une purée de pommes de terre. Un repas tout simple.
Mais le meilleur repas que j’ai jamais mangé.
Voici le troisième billet d’une série de trois conçu par le journaliste Kevin Raub sillonnant l’Alentejo à la découverte de ses merveilles. Cliquez le lien pour lire le premier et le deuxième billet de la série.